27 août 2006

Les patrons seront toujours les patrons...

Je raconte pas souvent d'anecdotes, mais celle-là me revient en tête...

Quand je négociais des séries chez mon ex-employeur, le but était souvent de remplir le catalogue avec tout ce qui sortait mais aussi d'avoir THE title quand il se présentait. A l'époque, le titre en question était une série d'action pour ados, qui se vendait déjà très bien en BD. Nous connaissions bien le disributeur et s'il avait été seul décisionnaire, ç'aurait été "in the pocket" direct.
Seulement voilà, pour ce titre, il y avait un producteur qui souhaitait mettre en avant une autre société avec qui il travaillait depuis plusieurs années et qui lui apporte satisfaction au niveau des ventes. Autant dire que ce n'était pas gagné, d'autant plus que ce même producteur nous avait déjà réfusé une série, sous prétexte que nous avions déjà pas mal de leurs licences. Pour l'anecdote, la société "sérieuse" à qui ils ont vendu cette série a fait faillite en même pas 2 ans. Ils ont du nez les Japonais quand ils décident de faire leurs chefs...

Bref, nous avions tout fait pour qu'objectivement le producteur ne puisse dire que leur poulain était le meilleur : projections de vente, passé de notre société avec chiffres de vente à l'appui, ventes TV... LA TOTALE. A côté notre concurrent ne possédait aucun background dans ce genre de programme...

Mais le producteur ne voulait pas en démordre : pour lui leur poulain était LA société qui allait leur offrir un succès incommensurable en France. Le distributeur décida alors d'imposer une rencontre entre nous et le producteur à Paris, celui-ci se rendant voir leur poulain. Après plusieurs hésitations, il accepta, mais vraiment à reculons... Nous-même partions du principe que c'était foutu car leur décision était prise quoiqu'on dise, quoiqu'on leur promette. C'est là que notre patron vénéré intervint !
La veille au soir mon collègue et moi-même avions décidé de faire une dernière réunion avec lui afin qu'il ne se prenne pas les pieds dans le tapis lors de la rencontre. Sans doute aurions nous du en faire plus...
"Donc, souviens-toi, nous allons voir M. Morishita, c'est lui le bog boss de Shushusha. Il a fait vendre des millions d'exemplaires de son magazine chaque semaine, donc il a un melon phénoménal. Par contre M. Sasaki, le représentant du distributeur ne sera pas là. Oui, on sait il parle français et c'est sympa, mais là ce ne sera pas le cas. Tout se fera en japonais. Voilà les chiffres, les estimations de ventes, un argumentaire sur pourquoi nous sommes les meilleurs, etc. On va se coucher maintenant ?"

Le jour fatidique arrive enfin. Nous avions donné rendez-vous à M. Morishita chez notre doubleur, car une de ses séries était actuellement en doublage. Premier problème, notre patron est claustrophobe et les studios de notre doubleur sont au 2ème sous-sol, même si les plafonds sont hauts. Première étape donc : persuader notre patron de descendre. Ce fut difficile, mais on y arriva. Au tour des Japonais maintenant. Nous disons bonjour, notre patron aussi, puis il nous glisse "je remonte, occupez-vous d'eux". Pas le choix ! Nous faisons donc visiter les studios, nous expliquons le fonctionnement des doublages en France, TRES différent du Japon. Ils sont contents, c'est toujours ça.

Il est temps de remonter. Notre patron nous attend à l'extérieur. Nous avons réservé dans un grand café non loin de là. La discussion est courtoise mais on sent la distance. M. Morishita est distant, affalé sur le canapé, jetant un regard biaiseux sur nos documents. Bref, on sent que c'est foutu de chez foutu.
La discussion prend fin, nous nous levons tous. Mon collègue et moi sommes contents : notre patron n'a pas dit de conneries (enfin presque, mais ce n'est pas passé à la traduction^^), et là C'EST LE DRAME ! Il tend la main au boss de Shushusha et lui lance "Good bye Mr. Sasaki !" CA Y EST, il l'a dite sa connerie... L'autre le regarde en souriant, pose une main sur son épaule et lui dit "Morishita !" Le sourire en Asie ne signifie pas forcément la joie ou une expression du rire, mais est aussi un signe de politesse face à une "agression" verbale par exemple. Nous nous quittons là dessus. Nous restons dans le café pour un débrifing :
"Oh, finalement, si on ne l'a pas cette série ce n'est pas grave, y'en a d'autres". Tu l'as dit bouffi...

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